Je reçois un message ce matin d’un client qui revient sur sa dernière séance de coaching. Ce message me parle d’émotions, de sa difficulté à les accepter, de sa plus grande difficulté encore à les exprimer, et de l’effet cumulatif que cela génère chez lui: l’émotion qui s’exprime est vécue comme une trahison et crée un sentiment de honte : « Je n’ai pas aimé perdre le contrôle mardi dernier. Cela me fait peur d’ouvrir les vannes comme çà, ne serait-ce qu’un peu, car cela pourrait entraîner un flot qui emporte tout sur son passage. J’ai vécu inconfortablement le fait d’avoir montré tant de vulnérabilité ». Je vous remercie pour votre accompagnement. A nouveau, vous avez su mettre les mots justes sur les situations (…)«
Au delà du feed-back, j’ai envie de répondre collectivement à ce message. Lors de cette séance, il y a eu beaucoup d’émotions présentes, accompagnées de leur cortège de sentiments : la tristesse liée à l’impuissance de trouver des solutions, la peur liée à l’incertitude de l’avenir proche, la colère face à l’injustice de tout devoir prendre en charge. Ce jour-là, elles sont sorties un peu en vrac, dans le désordre et sans contrôle, d’où ce malaise ressenti par mon client qui peut-être s’est senti « trahi » par ses émotions, qui aurait sans doute aimé en parler plus rationnellement. Il aurait sûrement préféré savoir « gérer » ses émotions. Et pourtant, pour se détacher ainsi du ressenti physique de l’émotion et pouvoir en parler « froidement », il faut d’abord l’avoir accueilli au fond de ses tripes, la reconnaître, l’identifier, la laisser délivrer son message.
Il faut laisser le flot d’émotions fertiliser la conscience, permettre l’apprentissage, le changement de stratégie et la prise de décision in fine.
Jadis, les crues du Nil assuraient la fertilité de la vallée et la prospérité des paysans. Les eaux chargées de matières organiques déposaient le riche limon noir lors de la lente décrue.
Très tôt, les égyptiens ont mis en place un système d’irrigation pour que les terres situées au-dessus du niveau du fleuve puissent bénéficier de la fertilité apportée lors de la crue du Nil. Ils ont ainsi construit des digues et des remblais pour protéger leurs habitations. Puis ont ensuite utilisé des bassins de rétention, les « hods », remplis grâce à des brèches ouvertes dans les digues. Quand on a endigué le delta de façon plus industrielle, on a permis d’irriguer de plus en plus loin mais peu à peu les terres se sont salinisées sous un climat aride, faute de bien drainer les sols irrigués. Le barrage d’Assouan a achevé de déstabiliser ce fragile équilibre morpho-pédologique.
Vaste débat que celui de savoir s’il, et comment, il faut domestiquer la nature…
De même les émotions.
Les larmes ne sont que de l’eau qui permettent aux graines de germer.
Pourquoi « gérer » ses émotions signifie-t-il trop souvent « empêcher » qu’elles s’expriment ? Si nous empêchons les émotions de s’exprimer, nous ne pouvons les rendre utiles. Or les émotions sont non seulement utiles mais vitales.
Gérer ses émotions, cela recouvre un ensemble de pas à suivre un à un, au début de façon un peu mécanique, voire en étant accompagné pourquoi pas, pour qu’ensuite, cela devienne une hygiène psychologique salutaire.
- D’abord accepter l’émotion qui est là (ou les émotions qui sont là, car c’est souvent un joli cocktail qui se présente en tir groupé ).
- Ensuite, s’autoriser à la/les ressentir, sans honte, sans jugement intérieur. Observer et ressentir. « Je suis tellement triste, là, j’ai la gorge serrée, un poids dans le plexus » ou « Ouh là, j’ai une colère qui monte, c’est tout rouge et bouillonnant, j’ai chaud, je me sens agité soudainement »…
- Vient ensuite le moment de décider ou pas d’exprimer l’émotion présente. Dans un cadre professionnel, il n’est pas toujours facile d’exprimer pleinement ses émotions. Soit que le moment ne soit pas approprié – imaginez-vous en train de vous mettre à pleurer lors d’une réunion dédiée au traitement des non-conformités parce que vous n’arrivez pas à régler un différend relationnel avec votre collègue ? Ce ne serait ni le bon lieu, ni le bon moment, ni les bonnes personnes – soit que l’intensité ne soit pas adaptée aux circonstances – comment serait accueillie une colère excessive à propos d’une petite contrariété qui serait la goutte d’eau de trop ? Mal à coup sûr…
Pour les rendre vraiment utiles, l’expression des émotions doit obéir à une règle d’or : elle doit être socialement acceptable, pour ne pas engendrer l’escalade ou la fuite. C’est pourquoi, quand on ressent une émotion trop forte, qui pourrait nuire à l’équilibre de nos relations sociales, il vaut mieux s’isoler, remettre à plus tard son expression, tout en restant à l’écoute de soi-même. Se calmer avant tout. Quelques exercices de sophrologie et de respiration sont très à propos.
- Ensuite seulement, au bon moment, avec les personnes concernées, on pourra commencer à rationaliser son émotion et à en parler de manière contrôlée. C’est-à-dire à exprimer à la fois l’émotion ressentie et le besoin sous-jacent qu’elle révèle. Cette étape est cruciale ! une fois calmé, si on passe à autre chose, si on considère que finalement, l’émotion n’étant plus là, il n’y a pas lieu « d’en faire un tout un plat », on laisse la porte ouverte à ce que l’émotion revienne, avec un effet cumulatif du type de la goutte qui fait déborder le vase. L’émotion met en mouvement, elle donne tous les ingrédients pour faciliter la mise en action. Mettre des mots sur l’émotion, dire ce qu’il y a à dire à propos de la situation qui l’a provoquée, exprimer ses besoins, proposer des solutions.
Je me suis souvent demandé : pourquoi parle-t-on de « gérer » ses émotions ? Aujourd’hui j’ai une réponse à cette question. Les émotions sont des ressources, elles apportent de la matière, elles suggèrent des orientations, elles favorisent les prises de décision. Ce sont les ressources de l’âme et d’un certain bien-être relationnel. A nous de les honorer comme telles, au lieu de chercher à les étouffer, les masquer, les déguiser.
Florence FARGIER – IDEALEAD